Hommage au Professeur Pierre PFEFFER

Le 29 décembre 2016, la protection animale perdait un de ses plus éminents représentants : le Pr Pierre Pfeffer. Il était une icône non seulement pour les défenseurs de l’éléphant pour lequel il s’est engagé avec détermination pendant près de cinquante ans, mais aussi pour tous les protecteurs des animaux sauvages en voie de disparition sur les cinq continents !

Ce zoologiste de terrain était aussi un ami du loup.

Président du comité scientifique du parc national du Mercantour durant 20 ans, c’est lui qui a, en 1992, confirmé la présence de ce prédateur en France et depuis, n’a eu de cesse de plaider sa cause auprès de toutes les instances nationales et internationales. Il soulignait son impact positif sur le maintien des équilibres naturels dans nos massifs, ainsi que celui de l’ours et du lynx. Face aux divers lobbies, il ne cessait de marteler que le Mercantour avait été créé pour la sauvegarde de la faune sauvage où la présence néfaste des ovins n’est que tolérée… (1)

Mais le parcours de Pierre Pfeffer ne se résume pas à ces deux espèces, bien loin de là, car tout être vivant – Homme compris ! – retenait son attention.

Né à Paris en 1927 d’une maman russe journaliste et d’un père critique d’art, son parcours scolaire débute en URSS où sa mère revient alors qu’il n’a que trois ans. C’est dans cette campagne russe qu’il tombe amoureux de la Nature et devient membre du Cercle des Jeunes Naturalistes où il est chargé de la section des reptiles. Il se plonge dans leur observation et bientôt couleuvres, lézards et tortues n’ont plus de secret pour le gamin. Revenus en France en 1937, ses parents s’engagent dans la résistance dès que la guerre éclate. Son père y trouve la mort et est fusillé à Paris par la Gestapo. Sa mère entraine alors le jeune Pierre en zone libre. Ayant, lui aussi, soif de liberté et de justice, il s’engage à 16 ans dans les Forces Françaises Libres de l’Ardèche. Puis, trichant sur son âge, il rallie la première armée française du Général de Lattre de Tassigny qui remonte la vallée du Rhône. Il combat dans les campagnes d’Alsace, d’Allemagne et d’Autriche dans le 19ème Bataillon de Chasseurs à pied où il s’avère tireur d’élite.

Démobilisé en janvier 1947, il peut enfin passer son bac et songe à devenir vétérinaire mais l’esprit mercantile qu’il ressent dans ce milieu le rebute et il s’inscrit à la Sorbonne en Sciences physiques, chimiques et naturelles.

Il étudie et décrit le varan de Komodo

Enfin, et pour la première fois, ce sera la découverte de l’Afrique, en Côte d’Ivoire, en 1950. Il aura un vrai coup de foudre pour cette nature riche et foisonnante et ces animaux emblématiques ! Il rencontre des chercheurs du Muséum d’Histoire Naturelle de Paris qui lui proposent de les accompagner dans une expédition à Bornéo. Chargé de récolter des animaux pour les parcs zoologiques dépendant du Muséum, Pierre Pfeffer passe d’abord cinq mois dans l’île de Komodo où il étudie et décrit le varan de Komodo auquel il consacre son mémoire de DES et un livre. Puis, il s’enfonce dans les forêts primaires qui recouvrent encore l’île de Bornéo, et durant quatorze mois, il va vivre avec les Dayaks et les Penans, ces redoutables coupeurs de tête, dans une parfaite osmose.

Tout en étudiant leurs mœurs, il collecte oiseaux, mammifères, insectes et reptiles qui enrichiront les collections du MNHN. Son DES en poche, il poursuit par un doctorat d’État avec pour sujet de thèse, le mouflon de Corse.

Puis, il repart pour des missions en Inde et en Afrique pour le compte du Zoo de Vincennes mais, prenant conscience des mauvaises conditions de capture et de transport des animaux, il renonce désormais à de telles tâches. Il participera plus tard à des campagnes anti-zoos qui ne sont pas étrangères à un changement de mentalité et à une évolution importante des conditions de détention. Les zoos afficheront désormais un souci réel concernant le bien-être de leurs pensionnaires et mettront en place une organisation très efficace pour la conservation des espèces en voie de disparition.

Pierre Pfeffer se consacre désormais totalement à l’observation et à la défense énergique de la nature sur trois continents : Afrique, Asie et Europe.

Membre du laboratoire Mammifères et Oiseaux du Muséum et Directeur de Recherches au CNRS, spécialiste en éco-éthologie des Ongulés, ce naturaliste-voyageur-polyglotte (il maitrise six langues) accomplira 90 missions.

Mais il n’est pas homme à se laisser enfermer dans une spécialité et, tour à tour herpétologiste, ornithologiste, mammalogiste, entomologiste, ethnologue, il sera l’auteur de 250 publications !

Vulgarisateur et communicant hors-pair, il multiplie les conférences, les articles, les livres, les interviews et présente des émissions animalières à la télévision. Ce sera « Les animaux du monde » produit par François de La Grange sur TF1, puis « Des animaux et des hommes » sur A2. Il sera aussi un des membres fondateur des JNE (Journalistes-Ecrivains pour la Nature et l’Ecologie).

Plongé dans ces forêts primaires qu’il adore (il les comparait au ventre d’une mère), il est le dernier à observer et à photographier le kouprey (Bos sauveli), un bovidé sauvage cambodgien aujourd’hui disparu.

Il participe activement à la réintroduction du lynx dans les Vosges. Avec le CNPN il participe à l’élaboration de la liste des espèces protégées en France et œuvre pour la protection de l’Ours des Pyrénées ; crée une mission d’étude pour la protection de la nature et des réserves naturelles dans les Terres australes et antarctiques françaises ; œuvre à la création d’une réserve de plus de 3000 ha au lac de Grand Lieu en Loire-Atlantique.

En 1986, il relance le parc national tchadien de Zakouma dévasté par la guerre civile ; fait classer en sanctuaire d’un million et demi d’hectares en Centrafrique ; organise la création du parc Taï en Côte d’Ivoire et préside le Réseau des Aires Protégées d’Afrique Centrale (RAPAC) qui couvre huit pays.

Mais il n’oublie pas l’Asie qu’il parcoure en tous sens sur un total de 14 ans. Il met en place un parc national dans le centre du Cambodge, dédié à la protection des tigres, des ours et de son bovidé-vedette, le kouprey… Il effectue des enquêtes sur le trafic des espèces animales, entre autres sur les félins, à travers toute l’Asie.

Il accepte la présidence du WWF-France qu’il va développer de manière significative.

Mais toujours intransigeant quand il s’agit de la défense animale, il quittera le WWF jugé par lui trop économe d’actions. Expert IUCN pour l’Afrique Centrale et Occidentale, il met toutes ses forces à la sauvegarde des rhinocéros du Tchad, Cameroun et Centrafrique.

« Il se lance avec détermination dans la bataille contre le commerce de l’ivoire. »

Enfin, il se lance avec détermination dans la bataille contre le commerce de l’ivoire. Après moult péripéties, il obtient en 1989 le classement de l’éléphant en annexe I de la CITES (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction) ! La chute du braconnage sera colossale. Hélas ! La CITES accorde en 1997 à l’Afrique du Sud, Botswana, Namibie et Zimbabwe la rétrogression de l’éléphant en annexe II. Ces pays deviendront la plaque tournante du trafic de l’ivoire pour le braconnage qui reprend aussitôt dans des pays qui eux, étaient fermement opposés à cette mesure : Cameroun, Centrafrique, Congo, Ghana, Kenya, Tanzanie… et jusqu’en Inde où en quelques semaines 150 pachydermes sont exécutés sur les 1500 que compte le pays !

Dès lors – et jusqu’à son dernier souffle – Pierre repart au combat. Il est de toutes les réunions, de toutes les manifestations, suivi en cela par nombre de scientifiques, d’associations, d’écologistes et d’amoureux de la Nature. Rien n’y a fait jusqu’à présent et Pierre est parti avec cette épine au cœur qui lui faisait dire encore dernièrement que son action avait été nulle !


Non, Pierre, elle ne l’a pas été. Loin de là !

D’abord, parce que nous suivons le chemin que tu nous as indiqué et que nous allons continuer le combat, ensuite parce que par ta volonté tu as fait barrage à l’extermination de tant d’espèces et de milieux qui sans toi auraient déjà disparus avec pertes et fracas.

Oui, que de combats n’as-tu pas menés ?
J’ai eu l’honneur d’être de ses amis, je t’ai suivi dans tes actions et j’y ai bien souvent participé. J’ai vu tes colères ou tes talents de diplomate face aux politiques et aux intérêts divers pour qui la sauvegarde des milieux et des espèces ne sont que gentils contes de fée pour rêveurs déconnectés des réalités si ce n’est de dangereux empêcheurs de tourner en rond.

Et pourtant, elle est bien là, la réalité : Notre Terre empoisonnée, désertifiée, ravagée, engloutie par la marée humaine, commence à réagir comme les scientifiques l’avaient prédit il y a déjà belle lurette.

L’effet du non-respect de notre Environnement où chaque animal remplit une fonction qui contribue à la bonne marche des cycles est essentiel à NOTRE survie. Ce signal d’alarme, les acteurs de l’industrialisation continuent de l’ignorer, les intérêts supérieurs et mercantiles ayant toujours raison de la Nature.


Cet homme, je devrais dire ce gentilhomme, si généreux, si aimable était aussi un combattant qui n’avait pas froid aux yeux et qui dénonçait avec fermeté les abus et les incohérences.

Un ami l’a vu lors d’une réunion internationale, pointer du doigt un ministre qui ne voulait pas prendre position et le traiter de lâche ! Je l’ai vu lors de réunions de la CITES qualifier les instances de marchands. Je l’ai accompagné lors d’un rendez-vous à l’ambassade d’Afrique du Sud pour réclamer l’ouverture des grilles du Parc Kruger afin de mettre en place des zones de conservation transfrontalières avec le Mozambique et le Zimbabwe.
Mêmes démarches pour le loup, le rhinocéros noir, la panthère de Chine…

Des hommes comme Pierre Pfeffer, comme Théodore Monod, comme le Capitaine Watson sont des lanceurs d’alertes avant la lettre.

Il y en a d’autres qui arrivent, qui grossissent les rangs des « sages », mais comme nos héroïques précurseurs, ils ne seront entendus que si nous sommes de plus en plus nombreux derrière eux à défendre les droits de la Nature. De notre Nature.

Laissons-lui le dernier mot : « L’avenir des éléphants est entièrement entre nos mains. Puisse la sagesse des hommes épargner cette espèce à nulle autre pareille. Nous en sommes comptables pour les générations à venir. ».

« J’ai eu l’honneur d’être de ses amis. »

Viviane TYTELMAN

 À lire : Vie et mort d’un géant : l’Eléphant d’Afrique (Flammarion) – Bivouacs à Bornéo (Flammarion) – Aux îles du dragon (Flammarion) – L’Asie, collection « Les continents en couleurs »(Hachette) – Zoo sans Frontières (Hatier).

1 – Pierre Pfeffer attirait l’attention sur l’action dévastatrice des énormes élevages de moutons en estive dans les Alpages qui ne laissent derrière eux qu’une terre dénudée aux chamois et aux bouquetins…