Ils ont parlé de nous – Le Parisien – 10/06/18

 

Expérimentation animale : «J’ai adopté un chien de labo»

Emilie Torgemen|10 juin 2018, 8h44|MAJ : 10 juin 2018, 9h10

Elsa et Bounty, 2 ans, qui a été utilisé par un laboratoire de recherche. LP/Jean Nicholas Guillo

 

Une association veut sensibiliser à l’adoption des animaux qui sortent des protocoles expérimentaux

« Il peut faire une crise de panique parce qu’on a changé le canapé, il est un peu bébête mais ultragentil », assure Elsa, lycéenne visiblement fondue de Bounty, son chien. A deux ans, ce Golden retriever à la bonne bouille a passé la moitié de sa vie dans une cage comme « cobaye » de laboratoire. Cette semaine à travers la France, dix-huit chiens qui ont servi à différents tests arrivent en refuge pour être sauvés comme Bounty l’a été « in extremis ».

Car les retraités des labos, pourtant en bonne santé, s’ils ne sont pas placés, sont euthanasiés. Une directive européenne de 2010 autorise « que les animaux utilisés ou destinés à être utilisés dans des procédures soient placés ou relâchés dans un habitat approprié ou un système d’élevage approprié à l’espèce ». Mais, faute de capacité d’accueil, le plus simple reste souvent de s’en débarrasser. A part les primates, dont l’utilisation est très réglementée et même totalement interdite pour les grands singes (gorilles, chimpanzés et Bonobos), tous les autres animaux peuvent faire l’objet d’expériences.

La semaine prochaine, des chiens surtout des Beagles, les préférés des chercheurs pour leur docilité, seront ainsi proposés à l’adoption dans plusieurs SPA dont celle de Saverne (Bas-Rhin) ou « Saint-Roch », à Compiègne (Oise). Sous l’impulsion de l’association Groupement de réflexion et d’action pour l’animal (GRAAL), peu connue mais très active, qui vient aussi de publier des guides pour aider à accueillir ses anciens outils de la science.

« Une véritable Arche de Noé »

« Tout ce que je sais de l’ancienne vie de Bounty, c’est qu’il faisait partie d’un protocole de recherche sur la myopathie » raconte Anne, la mère d’Elsa. Le chien a eu bien de la chance en atterrissant dans la maison familiale à Meudon (Hauts-de-Seine). « Une véritable Arche de Noé », selon les mots d’Anne, où il a été accueilli par Noupo un congénère, Chatouilles et Simba, deux matous, six poules et deux tortues.

Quand Bounty est arrivé, il avait déjà atteint 30 kg et sa taille adulte, mais il a fallu tout lui apprendre « comme un tout petit chiot », rappelle Anne. Il n’était évidemment pas propre, puisque dans le labo où il a commencé sa vie, personne ne le sortait pour qu’il fasse ses besoins. « C’était poignant, tout ce qu’il savait faire, c’était subir docilement à tous les gestes médicaux, nous l’avons constaté quand il a fallu lui faire une prise de sang », poursuit-elle.

C’est Elsa, ado passionnée de la cause animale, qui a entraîné toutes sa famille dans cette adoption un peu particulière. L’année dernière, elle cherchait un stage de troisième, elle a découvert le GRAAL. « Je n’ai pas pu faire de stage, raconte Elsa. Mais on est resté en contact ». Quelques mois après, quand elle a appris qu’il y avait un « sauvetage » organisé en Ile-de-France, toute la famille s’est rendue à l’école vétérinaire d’Alfortville (Val-de-Marne).

« C’était très impressionnant, on nous a présenté douze à quinze chiens, un à un. Il a fallu choisir », rappelle Anne. « Il y avait une vieille chienne de 7 ans, qui avaient subi des tests de stérilisation, mais aussi le père de Bounty, se remémore Elsa. Je voulais tous les emmener ! » Ni malades, ni dangereux, des vétérinaires surveillent l’état de ces « réformés » de la science avant de les proposer à l’adoption.

Scruter les étiquettes « cruelty free »

Depuis qu’elles vivent avec Bounty le rescapé, mère et fille sont « ultra-attentives » aux rouges à lèvres et autres crèmes de soin qu’elles utilisent. Officiellement, l’Europe interdit l’expérimentation animale pour les cosmétiques depuis 2013. Mais dans le détail, pour des ingrédients (conservateurs, parfums, solvants) aussi utilisés dans d’autres secteurs, des tests peuvent toujours être effectués sur animaux. « Je scrute les étiquettes « cruelty free » (« sans cruauté »), j’interroge les vendeuses, je surveille les sites spécialisés », précise la lycéenne.

« Pour les médicaments, c’est plus compliqué. On manque d’information », pointe sa maman, qui ne poste plus sur les réseaux sociaux que des vidéos sur l’expérimentation animale. Les deux femmes sont aussi devenues des ambassadrices hors pair : une amie installée en Normandie a recueilli une jument avec le GRAAL, une voisine deux chats.

A quand un nouvel adopté ? « Moi, j’aimerais beaucoup », répond la fille. « Ce ne serait pas raisonnable, c’est déjà toute une intendance », répond la mère. Rien que pour cet été, la famille – papa, maman, une fille, un fils – prendra la route des vacances avec deux chiens et les deux chats. Les poules et les tortues, elles, resteront à Meudon, où elles seront nourries par des amis.

ANIMAUX ET LABO, L’ÉPINEUX DÉBAT

Près de deux millions de cobayes sont « utilisés » chaque année par les labos en France. Indispensables à l’avancée de la science pour les uns ; pratiques barbares pour les autres, les tests sur les animaux, même s’ils sont encadrés, restent très controversés. Si des associations attaquent violemment les scientifiques ou les entreprises qui les pratiquent, le GRAAL a choisi une approche collaborative. « Nous ne sommes ni pour, ni contre les labos, explique Marie-Françoise Lheureux, sa présidente. Même si sur le plan éthique nous sommes sceptiques quant à l’utilisation d’animaux pour des fins scientifiques, nous nous concentrons sur le sauvetage des anciens cobayes ». D’où cette mobilisation pour l’adoption de ces animaux.